L’antibiorésistance, le revers de la médaille
L’efficacité remarquable des antibiotiques s’est accompagnée de leur utilisation massive et répétée en santé humaine et animale. Ce phénomène a généré une pression sur les bactéries, qui ont développé des systèmes de défense contre ces antibiotiques. On parle de pression de sélection, conduisant à l’apparition de résistances (Bactéries Multi-Résistantes produisant des enzymes lysant les antibiotiques comme les BLSE, Bêta-Lactamases à Spectre Etendu, SAMR ou Staphylocoque Aureus Méticilline Résistant, ERG ou Entérocoque Résistant aux Glycopeptides). La mauvaise utilisation des antibiotiques, passant par des traitements trop courts ou trop longs, parfois mal dosés, est également pointée du doigt.
Ponctuelles au départ, ces résistances sont devenues massives et préoccupantes. Certaines souches sont multirésistantes, c’est-à-dire résistantes à plusieurs antibiotiques. D’autres sont même devenues résistantes à tous les antibiotiques disponibles. Ce dernier cas est heureusement encore rare, mais le phénomène est en augmentation. Il place les médecins dans une impasse thérapeutique.
Les animaux sont aussi des gros consommateurs d’antibiotiques D’après l’OMS, au moins 50 % des antibiotiques produits dans le monde sont destinés aux animaux. Aux Etats-Unis, ces médicaments sont utilisés de façon systématique comme facteurs de croissance, une pratique interdite en Europe depuis 2006. Or, comme chez l’Homme, la surconsommation d’antibiotiques dans les élevages est responsable de l’apparition de résistances. Les bactéries multi-résistantes issues des élevages peuvent se transmettre à l’Homme directement ou via la chaîne alimentaire.
Il n’en reste pas moins que des résistances surviennent aussi en ville, au détour d’antibiothérapies « apparemment anodines » : sous la pression d’un banal traitement antibiotique par voie orale donné à tort pour une rhinite ou bronchite, une espèce bactérienne de la flore intestinale peut développer un mécanisme de résistance.
Les mesures prises
Depuis plus de dix ans, de nombreuses actions ont été entreprises pour lutter contre le développement des résistances aux antibiotiques.
En France, un troisième plan pluriannuel vient d’être mis en place pour la période 2011-2016 et fixe désormais un objectif chiffré en matière de réduction des consommations :
– 25% d’ici 2016.
Cet objectif est d’autant plus prioritaire que la consommation d’antibiotiques en France est importante : elle se situe à un niveau nettement supérieur à la moyenne européenne.
Aussi, le nombre de substances actives antibiotiques dont disposent les prescripteurs diminue. En effet, très peu de nouveaux médicaments sont venus enrichir les différentes classes d’antibiotiques. Au cours de la période, le nombre de substances disponibles en France est passé de 103 à 84 (voir annexe 1).
A l’hôpital comme en ville, les pénicillines constituent la classe d’antibiotiques la plus utilisée. L’amoxicilline demeure l’antibiotique de référence. Parmi les autres bêta-lactamines, celle des céphalosporines de 3ème génération mais également celle des carbapenems ont progressé fortement. En ce qui concerne cette dernière classe, l’usage croissant des carbapenems est d’autant plus préoccupant que de nouvelles souches résistantes sont apparues.
70,6% des prescriptions d’antibiotiques en ville ont été réalisées par un médecin généraliste.
En valeur absolue, la consommation d’antibiotiques est beaucoup plus élevée en ville qu’à l’hôpital.
En valeur relative, le rapport s’inverse.
Ainsi, plus de 40 patients sur 100 hospitalisés ont reçu en 2010 un jour donné une dose d’antibiotique, alors qu’en ville ce taux journalier est inférieur à 3 personnes sur 100.
L’exposition aux antibiotiques est donc majeure à l’hôpital.
Une lutte sans fin
La propagation des bactéries multirésistantes et l’absence de nouveaux antibiotiques font courir un risque d’impasse thérapeutique de plus en plus fréquent. Pour faire face à cette situation, l’idée n’est pas de trouver une solution permettant d’éviter l’apparition de résistances, car les bactéries trouveront toujours un moyen de s’adapter. Il convient plutôt de préserver le plus longtemps possible l’efficacité des antibiotiques disponibles.
Réduire la consommation d’antibiotiques
Il est absolument nécessaire de réduire la consommation d’antibiotiques pour baisser la pression de sélection qui pèse sur les bactéries. Grâce aux plans de rationalisation des prescriptions et aux campagnes de sensibilisation destinées au grand public, la consommation de ces médicaments a chuté de 16 % entre 2000 et 2009. La France reste cependant parmi les plus gros utilisateurs, et la consommation est légèrement repartie à la hausse depuis 2005. Dans ce contexte, il est important que les médecins puissent distinguer les infections virales des infections bactériennes : si l’infection est virale, l’antibiotique est inutile. Des tests de dépistage rapide existent pour les angines. Malheureusement, ils sont encore sous-utilisés en France.
Conclusion
Pris dans leur ensemble, ces résultats demeurent néanmoins positifs et démontrent que les habitudes de prescription et les comportements peuvent être infléchis.
Auteur : Dr Laure QUINCY (biologiste médicale)
Sources :
Dix ans d’évolution des consommations d’antibiotiques en France (rapport ANSM juillet 2012)
Résistance aux antibiotiques (rapport INSERM mai 2013)